VOIR PARIS OU MOURIR (récit de Christian Noullet).
Paris Brest Paris : 1135 ème km.............79 ème heure de route....
Dans 5 h maximum, nous serons à Paris ! Tout va bien c'est dans la poche............
Nous venons d'entamer le dernier raidillon avant le plateau surplombant Nogent Le Roi....... (hors texte : j'ai toujours accompagné Christian jusque là).
Tout va bien.......mais cependant depuis un petit arrêt "pause-café" à
Tremblay le Vicomte où j'ai littéralement avalé 3 "chaussons aux pommes" et 2 cafés bien chauds, j'ai l'estomac lourd et je sens que mon coup de pédales n'est plus aussi efficace 😒.
LA DÉFAILLANCE :
La côte me paraît tout à coup interminable ; j'ai l'impression de pédaler dans le vide, je me sens à bout de forces ! je rassemble mon énergie. Rien à faire, chaque mètre de cette côte, je dois l'arracher au prix d'un effort incroyable. Dans ma tête aussi c'est le vide !
De mon inconscient affleure un mot qui aussitôt m'obsède : DÉFAILLANCE ............Peut on lutter contre la défaillance ? Paris Brest Paris serait ce fini pour moi ?........
Cette immense fatigue qui s'abat soudainement sur moi et que j'essaie en vain de surmonter, maintenant je me laisse envahir par elle. Ah, dormir, dormir 😞😔............
Je n'en peux plus. Je m'arrête, Adieu, mes compagnons de route !............... (et j'en fais partie, triste au revoir à Christian, mais je joue aussi ma réussite et il n'en faudrait pas beaucoup pour que je l'accompagne 😕).
Un chemin de campagne longeant un champ de maïs, voilà mon havre de salut. Je jette mon vélo en bordure du champ, mon estomac se vide des chaussons aux pommes trop rapidement consommés et je m'allonge sur mon KW pour dormir tout mon saoul, Paris c'est fini !...........
A peine 3 km ! Bien sur, si j'avais pu me traîner jusque là en dépit de ma terrible lassitude ! En tout cas, maintenant ma décision est prise : je ferai un dernier effort pour arriver à l'étape et là, on verra.....
J'enfourche ma bécane. Péniblement, à coups de pédales hâchés
je grimpe les quelques centaines de mètres de côte qui mènent au plateau, en puisant dans mes dernières réserves. Le villageois avait dit vrai, du haut on plonge directement sur Nogent.
Il est 11 h 50 lorsque j'y arrive. Le contrôle a été aménagé dans une petite brasserie baptisée "L'Etoile" (peut-être l'étoile de l'espoir pour moi ?). Je m'y précipite afin de faire estampiller mon carnet de route ; en reprenant celui-ci, je lis : NOGENT 1.138 km
PARIS 1.216 km arrivée
Il me reste don 77 km à parcourir et, comme le contrôle d'arrivée est fermé à 22 heures, j'ai un temps de 10 h pour les réaliser.
Cette constatation me redonne un peu de courage..........
LA COUR DES MIRACLES :
Voilà la solution, je plante mon vélo contre l'un des peupliers et je m'installe dans la file des éclopés. Le médecin m' ausculte :
Pouls : 80-Tension 14/9. Tout est normal, ça va me dit il, cette phrase apaise mes alarmes tant j'appréhendais le pire.
Mon coeur tient le coup, heureusement.
Mais alors, d'où me vient cette immense fatigue ? Pourquoi n'ai je plus aucun ressort ? Une infirmière me conseille de me reposer pour récupérer. Je m'allonge un peu à l'écart, sur une civière..........
Autour de moi, le spectacle me paraît irréel. Dans quelle cour des miracles suis-je tombé? Des éclopés, des boiteux, des courbatus.
Les kinés massent des musculatures nouées par les crampes.
Des malheureux, "souffrant de la selle", le cuissard à mi-mollets, se présentent aux soigneurs sous leur meilleur "visage".............
L'odeur d'embrocation est écœurante.
Comment reconnaître dans cette humanité souffrante les cyclos bien gaillards qui au départ de l'épreuve s'élançaient, confiants dans leurs forces, pour une admirable aventure sportive ?
Plus tard, je réaliserai qu'il m'a été donné d'être le témoin d'une expérience peu ordinaire. Pensez donc : vivre les drames de Paris-Brest-Paris dans le dernier relais-contrôle, à 80 km de la capitale.
Voir tous ces cyclos aux visages fatigués et anxieux, sachant que c'est le dernier poste de secours et qu'après, l'aventure peu s'arrêter aux portes de Paris, faute de forces ou terrassés par la souffrance.
LA GRANDE DÉSILLUSION :
Et je réalise tout à coup que, moi aussi, je fais partie de ce peloton à la dérive..............Des réflexions amères me viennent. Fallait-il que je sois fou pour m'être lancé dans cette galère. Sans doute n'étais-je pas taillé pour une telle épreuve ? J'aurais tout bonnement dû rester à la maison ; je serais à cette heure en train de faire la sieste dans une fauteuil confortable et non sur cette civière, en pleine débâcle,
après avoir pédalé, pédalé jusqu'au bout de mes forces sur ces longues routes cruellement vallonnées de Bretagne.
Mon amertume dans ce que je crois être la pire défaite est à la mesure de tous les espoirs que j'avais mis dans cette épreuve, dont j'avais voulu faire "ma grande aventure".
Brevets qualificatifs avec :
Yves L!host et quatre participants à P.B.P E Delaunoit, W Dewaele, R Destomeleir et votre serviteur D Cauchie.
Photo prise par un autre participant A Tignon.
Manque l'auteur du récit C Noullet.
Manque l'auteur du récit C Noullet.
Insensé, oui, j'avais été insensé ! Je pense aussi à tous les efforts auxquels j'avais consenti, d'abord pour décrocher mes brevets qualificatifs, ensuite pour préparer ma bicyclette, mon équipement, etc................
Je pense surtout aux mille kilomètres que j'ai déjà dans les jambes....Comment en étais-je arrivé là ?
Quelle erreur avais-je donc commise ? A ce point de mes réflexions, je me surprends à tourner vers moi-même mon agressivité ! C'est de ma faute si j'en suis là ! Qu'avais-je mangé depuis ce matin si ce n'est les 3 chaussons aux pommes que mon estomac a refusé. La fringale, c'était pour les autres......Maintenant, je paie cash cette erreur de débutant. Pourtant, jusqu'à cette maudite montée de Nogent, j'avais bien tenu le coup. Certes, j'avais connu des moments difficiles mais j'avais réussi à surmonter les accès de fatigue et les petits " coups de barre" ; je m'étonnais même d'avoir pu récupérer assez facilement, n'ayant pas pris plus de 3 heures de sommeil la veille et l'avant-veille (hors texte : et encore dans des dortoirs improvisés avec les bruitages de fond devinés 😴😠😨.......d'en haut et d'en bas 😏)
Et encore la nuit dernière, n'avais-je presque pas fermé l’œil.
Dans le dortoir improvisé à l'étape de Bellème, coincé entre deux gars qui ronflaient en duo. Tout au long du parcours, je pédalais relativement "facile" et, au moment d'aborder la côte de Nogent, j'étais largement en avance sur l'horaire que je m'étais fixé.
Et voilà, j'ai craqué.........le coup de pompe bête et méchant faute de m'être alimenté à temps.
Il me semble en ce moment que me remettre en selle me demanderait un effort surhumain. Qu'on ne me parle plus de rien, qu'on me laisse tranquille.....couché sur ma civière.
LA BOUÉE DE SAUVETAGE :
Un peu plus d'animation sous la tente de la Croix Rouge.
Un homme vient vers moi, souriant : "Alors, Tournaisien, (il a repéré sur mon maillot l'écusson des Audax de Tournai), on récupère ?"
André Tignon (photographe et participant) qui reçoit en 1990 à Tournai, Mr et Mme Lepertel.
La veille au soir, nous avions eu la joie d'échanger quelques mots avec lui au cours d'un excellent repas pris à Villaines la Juhel ; cela nous avait regonflé le moral de pouvoir parler tout simplement avec le brillant organisateur de ce brevet exceptionnel et prestigieux.
"Cela ne va plus Monsieur Lepertel, je suis au bout du rouleau...."
" Allons donc, un Audax (Monsieur Lepertel est Président de l'Audax Club Parisien) n'abandonne pas à 80 km du but ! Que dit le toubib ? ça va ? Oui. Alors, plus question de rester sur cette civière, viens avec moi à la brasserie, on va te requinquer".
Nous quittons cette tente où infirmières et infirmiers au bord de l'épuisement continuent à soigner depuis plus de 24 heures les infortunés cyclos qui ne cessent de défiler. Quelle organisation, quel dévouement.
"Depuis quand n'as tu pas mangé ?" me demande Monsieur Lepertel : il avait déjà compris. Force m'est de lui avouer que ne n'avais pas avalé grand chose depuis le matin. "ok", demande 2 sachets de vitamine C à mon épouse qui est à la table de contrôle et, pendant ce temps, je vais te commander un repas.
Quelques minutes plus tard, le voici de nouveau : il m'apporte une omelette bien baveuse et m'installe à une table proche. "Avec cela, tu remontes sur Paris comme une fusée" me dit-il.
Et puis : "tu me donneras ton sac de guidon, je te l'amènerai à Paris, tu te sentiras plus léger........Au revoir.." Pas de phrases inutiles , il est déjà parti.
Et je reste là sur ma banquette, fourbu mais heureux d'avoir rencontré un tel sportif.
Il n'y a plus beaucoup de cyclos dans l'établissement, l'heure de fermeture du contrôle approche : 16 h 20, dernier délai et il est presque 16 heures.
UN SAINT-BERNARD NOMME JEAN CLAUDE .....
Ma surprise est totale. Par quelle extraordinaire coïncidence, me trouvais-je en ce jour où mon grand rêve est en train de s'écrouler, en face de celui qui avait, à mon insu, suscité en moi ce formidable désir d'aventure ?
Ils étaient plus de deux mille cyclos embrigadés dans l'épreuve, parcourant le même itinéraire, faisant halte aux mêmes gîtes d'étapes................Oui, ils étaient plus de deux mille et c'est Jean Claude Loire qui en ce moment me tend la main ..............
"Je t'amène à Paris" me dit Jean Claude.
Il ne m'a pas demandé si je comptais me remettre en route.
Il n'y a place pour aucune objection de ma part. Il m'a dit cela comme si c'était un fait. Il a décidé de m'amener à Paris.
Il ne me reste qu'à le suivre.
LE CALVAIRE :
Après avoir dit à ces deux compagnons de route qu'il restait avec moi pour me permettre de réussir mon premier P.B.P, Jean Claude prépare les vélos pendant que je termine mon repas.
Il est presque 16 h 30 et nous reprenons la route.
Jean Claude pédale à côté de moi. A haute voix, il établit le tableau de marche : "il nous rest 5 h 30 pour boucler les 77 km. Vitesse de croisière : 16 km/h, dit-il, pas plus...allons, courage".
Jean Claude veut me persuader que la tâche est loin d'être insurmontable. Moi, je l'écoute à peine. Rien ne va, j'ai toujours les jambes en coton même si cette fois mon estomac est bien calé.
Et à la sortie de Nogent le Roi est à nouveau pour moi un véritable calvaire. Dur-dure, cette côte.
Nous roulons..Je me laisse emmener, je pédale sans conviction.
Peu importe la suite des événements, mais nous progressons. Et c'est cela qui compte.
Tout au long du trajet, Jean Claude va me forcer à m'alimenter.
Une omelette, ça ne suffit pas, il faut des aliments énergétiques.
J'absorbe d'abord des carrés de glucose. Plus tard, il me refilera à doses répétées de la pâte de fruits. Enfin, nous passerons au fromage : La Vache Qui Rit.......et qui donne des calories.
Mon "entraîneur" me suggère à chacune des bosses que nous abordons le braquet à utiliser :"tu pousses trop grand, ne te fatigue pas".
JC a l'expérience des longues randonnées. Il sait combien il importe d'économiser son énergie et surtout de mobiliser son esprit sur l'objectif à atteindre et il continue à me parler pour m'empêcher de ressentir les pensées défaitistes qui m'assaillent.
Péniblement, je suis le train. Sans avoir le coeur à la fête, je suis tout de même reconnaissant à cet ami de me donner ce fraternel coup de main, au risque pour lui de ne pas réussir son P.B.P.
Cela fait une heure que nous roulons. JC me le fait remarquer, nous avons "tenu" le 16 km/h de son tableau de bord. Pour ma part, j'évite de regarder les panneaux qui nous indiquent les km qui nous séparent de Paris, JC s'en est rendu compte. (hors texte : je me souviens dans un de mes P.B.P, j'accompagnais Hubert Couplet et lui avait mis du sparadrap sur son compteur).
Il n'y fait aucune allusion mais, par contre, relève avec insistance le trajet déjà accompli. Sans doute, ai-je l'air indifférent à ses propos; c'est uniquement pour ne pas paraître muffle que je m'efforce de répondre. Et encore n'est ce que par un "oui" ou un "non"...........
Mon compagnon de route a-t-il perçu le découragement qui à nouveau s'empare de moi ?
"On va parler d'autre chose" dit-il.
Et le voici qui raconte ses souvenirs de vacances. Pour faire diversion, tout simplement. Le ton est enjoué, il met de la chaleur dans son récit. Tant et si bien que peu à peu il accroche mon attention. Le temps passe .....et nous poursuivons notre route.
Deuxième heure. Cette fois, nous avons bouclé 17 km. Jusqu'ici je tiens le coup. Je n'ai peut-être pas encore repris le dessus, ni au moral, ni au physique, mais je continue à pédaler.
Cela fait maintenant plus de deux heures que nous avons quitté Nogent. Il s'est mis à pleuvoir, c'est alors que la "Sorcière" m'a fait son plus sale coup : LA CREVAISON : je m'arrête. Je considère avec consternation mon pneu arrière lamentablement dégonflé. Je me tourne ver Jean Claude : "Cette fois, c'est fini..Pars sans moi, tu n'as pas à compromettre tes propres chances. J'abandonne ".
"Pas question, tu vas voir comment un Dunkerquois répare en moins de 5 minutes" me répond il.
Il empoigne ma roue tandis que je m'assieds à même l'asphalte, au bord de l'effondrement. Mon ami a effectivement vite fait de changer la chambre à air. "Voilà, il n'y a plus qu'à remettre la roue" me dit-il en s'essuyant les mains.
Je l'avoue : je n'ai pas eu la force - ni le courage - de la fixer.
C'est encore Jean Claude qui a achevé la besogne.
LA RESURRECTION :
Nous voilà repartis, encore quelques kilomètres. "Tes forces reviennent" déclare Jean-Claude tout à coup.
Je constate, en effet, que je pédale avec plus de facilité.
Un peu plus tard, nous apercevons deux cyclos, loin devant nous, à l'horizon. Minute après minute, la distance entre nos deux prédécesseurs et nous diminue. Cette fois, ça y est, nous "revenons sur eux". Pour moi, ce fut le déclic, j'avais surmonté ma défaillance. Mes forces me reviennent aussi soudainement qu'elles m'avaient quitté lors de la fameuse ascension de la côte de Nogent.
Jean Claude m'adresse un sourire complice. Il sait que je revis :
progressivement, dans ce tronçon de plus en plus vallonné, nous dépassons bon nombre de participants. Certains sont véritablement à la traîne, au bout du rouleau.
Nous les encourageons au passage mais en montrant ma roue arrière à ces infortunés, je ne puis m'empêcher de penser qu'il y a peu de temps, j'étais, moi aussi, en plein détresse.
Maintenant , j'y crois. P.B.P et ses 1.215 km de bitume, j'en viendrai à bout. Je l'aurai cet ultime tampon sur ma carte de route.
Autour de nous, la circulation s'est faite plus animée, plus dense, Jean-Claude et moi roulons roue dans roue.
Mais que se passe-t-il ? un motard de la police nous enjoint de nous arrêter. Allons-nous échouer si près du but à cause d'un malencontreux incident ? Très vite heureusement, le policier nous rassure :
Nous attendons avec impatience que quelques cyclos nous rejoignent.
Je consulte ma montre : presque 21 heures.
Je me félicite de l'initiative qu'on prise les organisateurs en faisant appel aux gendarmes de la Garde Républicaine pour la sécurité des cyclos et le bon déroulement de l'épreuve. Mais, j'ai quand même quelques appréhensions : et si notre attente ici devait trop se prolonger ? Mon inquietude est vite calmée, un motard et une voiture prennent la tête du peloton tandis qu'une autre voiture se place juste derrière nous pour nous éclairer pendant que nous dévalons la terrible descente des Étangs de St-Cucufa, à La Celle St Cloud.
A l'arrivée, nous défilons entre deux haies de spectateurs qui nous applaudissent.
Une indicible griserie m'envahit soudain. J'ai fait Paris-Brest-Paris,
je mets pies à terre, heureux, heureux.........Je m'écroule dans les bras de Jean-Claude.
Il m'a "ramené" à Paris comme il me l'avait promis, il est exactement 21 h 34.
C'est d'ailleurs depuis ce Brevet qu'on appelle Jean Claude LOIRE, "le remorqueur de Dunkerke".
Des moments qu'on aimerait revivre mais je pense que cette époque est révolue 😕.
Goede middag hoe gaat het met je? Ik ben Braziliaans en ik ben op zoek naar nieuwe volgers voor mijn blog. Ik kan jou ook volgen. Ook nieuwe vrienden zijn welkom.
RépondreSupprimerhttps://viagenspelobrasilerio.blogspot.com/?m=1
Merci du message, vous aimez le vélo aussi ?
RépondreSupprimerQuel beau texte, quelle aventure, 1 fin très difficile mais tu y fais arrivé papa ,merci au remorqueur de Dunkerque JC
RépondreSupprimerBravo nous sommes fiers de toi